homélie du 24ème dimanche du temps ordinaire
Abbé Jean Compazieu | 3 septembre 2011Pardonne-nous comme nous pardonnons
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Les lectures de ce dimanche nous parlent du pardon. Déjà au 2ème siècle avant Jésus Christ, Ben Sirac écrivait : “Rancune et colère, voilà des choses abominables où le pécheur s’obstine.” L’auteur dénonce la vengeance et recommande le pardon. Oui, mais comment pardonner à celui qui a détruit ma vie et ma réputation ? Comment pardonner à celui qui a causé la mort d’un membre de ma famille. Dans certains pays, des hommes sont responsables de la mort de familles entières. Comment leur pardonner ? Voilà une question bien difficile.
Et pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’évangile qui vient d’être lu. C’est d’une clarté absolue. Le Christ ne tolère aucune concession sur ce point. Pierre pensait être généreux en pardonnant “sept fois”. Ce chiffre 7 désigne une certaine perfection. En répondant par un multiple de sept, Jésus explique que le pardon doit être illimité. Accorder le pardon à celui qui nous a fait du mal, cela n’est pas évident. Pour préparer son peuple à cette loi, Dieu a marqué des étapes. Tout d’abord, il y a eu la loi de Moïse qui recommandait d’éviter la vengeance excessive. Nous connaissons tous la loi du Talion : “Œil pour œil, dent pour dent.” C’était un appel à limiter la vengeance. Plus tard, au 2ème sicle avant Jésus Christ, on a fait un sérieux progrès : nous lisons dans le livre de Ben Sirac : “pardonne à ton frère le tort qu’il t’a fait. Alors, à ta prière, tes péchés seront remis.”
Le pardon n’est pas une simple affaire. Mais il est absolument essentiel ; Jésus l’a placé dans la seule prière qu’il nous a laissée : “Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé”. Oui, mais nous pensons aux cas extrêmes, celui des parents dont l’enfant a été violé, torturé et assassiné ? Que ferions-nous à leur place ? Nous n’arriverions peut-être pas à pardonner. Mais Dieu ne me pardonnera pas mes propres péchés puis qu’il fait dépendre son pardon de celui que je donne à ceux qui m’ont offensé. Pour les hommes, cela peut paraître impossible, mais avec Dieu, il n’y a pas de situation désespérée.
La parabole de l’évangile nous permet précisément de sortir du désespoir. Elle nous parle d’un serviteur qui doit à son roi une somme démesurée. Dix mille talents, cela représentait soixante millions de pièces d’argent. Ce chiffre exorbitant veut souligner l’importance de la remise de la dette. Cette histoire dépasse le raisonnable. Elle nous dit que devant Dieu, nous sommes tous des serviteurs insolvables. Notre péché représente un lourd passif. Que pourrions-nous faire pour être quittes ? Mais Dieu n’est pas un banquier qui exige le remboursement de la dette et des intérêts. Quand nous le supplions, il nous libère au nom de l’amour qu’il nous porte.
La démesure de la dette annulée et la folle générosité du maître ne sont qu’une image notre situation par rapport à Dieu. En raison de notre péché, nous sommes devenus des débiteurs insolvables. Et pourtant, Dieu nous fait grâce. Il est le “pardonneur”. Ce mot n’existe pas dans le dictionnaire, mais il définit bien ce qu’est Dieu. “Nos péchés les plus graves, disait le curé d’Ars, ne sont qu’un grain de sable face à la montagne de miséricorde du Seigneur.” Dieu pardonne infiniment. Il n’en finit pas de pardonner. Il ne fait pas payer. Jésus n’a pas fait payer à la femme adultère, ni à la Samaritaine, ni à Pierre qui l’a renié, ni à ses propres bourreaux pour lesquels il demande le pardon du Père. Ce qu’il nous demande aujourd’hui, il l’a vécu jusqu’au bout.
Si le Seigneur se comporte ainsi à l’égard des hommes, comment peuvent-ils refuser de pardonner ? Encore une fois, cela reste difficile et douloureux. Mais l’exemple venu d’en haut peur nous aider et nous stimuler. Ce pardon donné et reçu c’est quelque chose d’extraordinaire. Celui qui le reçoit commence à “revivre” par la force de ce pardon. Malheureusement, trop de gens restent fâchés jusqu’à la mort. On enferme l’autre dans son passé et on ne lui laisse aucune chance de faire un geste de paix. Réfléchissons bien : garder de la rancune et de la haine, chercher à se venger, qu’est ce que cela va donner ? Nous allons encore nous faire du mal ; nous allons faire grandir la haine ; nous allons souffrir et faire souffrir. “Il nous faut pardonner, disait Edmond Michelet au sujet de celui qui l’avait dénoncé pour être envoyé en camp de concentration ; c’est la seule attitude qui convienne à des chrétiens.”
L’offense d’un frère nous fait mal. Mais elle est bien peu de choses à côté de nos péchés et de nos manques envers Dieu. Cent euros que me doit mon frère, c’est insignifiant par rapport aux soixante millions que je dois. La fin de cette parabole semble contredire ce qui est dit sur le pardon sans limite du Seigneur. En fait ce n’est pas Dieu qui refuse de pardonner. C’est l’homme au cœur dur qui devient imperméable au pardon de Dieu.
Par le sacrement de la réconciliation, Dieu est là pour nous renouveler dans la grâce du baptême. Nous retrouvons notre place d’enfants de Dieu. Par-delà le péché, Dieu nous redit sa tendresse. Son pardon nous donne un cœur nouveau et nous réapprend à aimer. Le Christ ressuscité dépose en nous son Esprit qui nous restaure dans la fraternité.
En ce jour, Seigneur, nous te confions notre désir de pardon. Par ton Eucharistie, viens en aide à notre fragilité. Donne-nous force et courage pour aimer comme toi et pardonner comme toi. Amen
D’après diverses sources
Pardonnés pour pardonner
Le 4ème grand enseignement de Jésus (chapitre 18 de l’évangile de Matthieu) concerne la vie de toute communauté chrétienne. Dimanche passé on a vu comment la procédure discrète mais exigeante de la « correction fraternelle » permettait de conserver le tonus évangélique du groupe : toute déviance d’un membre doit être redressée au plus tôt car il y va de la vérité du témoignage collectif.
Aujourd’hui, en finale, est abordé le problème des rapports parfois difficiles entre chrétiens.
Pierre s‘approcha de Jésus : « Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à 7 fois ? ».
Jésus lui répond : « Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois mais jusqu’à 70 fois 7 fois ! »
Que ce soit le n ° un des Douze qui pose le problème signifie bien :
– que le pardon est un problème général de toute communauté chrétienne ;
– que le responsable du groupe (et d’abord le pape, successeur de Pierre) est le premier concerné ; à lui, au premier chef, de donner l’exemple, et de diffuser cet enseignement basique.
« 70 x 7 x » : l’expression fait référence aux premiers chapitres de la Genèse, qui ne constituent pas un reportage historique sur les premiers hommes mais sont une description imagée de nos problèmes fondamentaux. Lamek, un descendant de Caïn, meurtrier de son frère Abel, prend deux épouses (violence aux femmes), tue un homme qui l’a blessé et s’écrie rageusement: « Oui Caïn sera vengé 7 fois mais Lamek 77 fois ! » (Gen. 5, 24). Ce cri de défi montre la rage de la vengeance et l’entrée dans la spirale de la violence : pour réparer les dommages subis et se faire craindre, l’homme promet des représailles terribles.
La LOI tentera de limiter cette vague irrépressible : « Si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied… » (Exode 21, 23-24). Cette loi dite du talion n’est pas un appel à la vengeance mais une digue afin d’ajuster le châtiment au dommage subi – principe encore de nos législations.
Mais ici Jésus outrepasse toutes ces prescriptions légales : il exige que dans toute Eglise, toute communauté portant son nom, les frères et les sœurs non seulement ne se vengent pas mais s’accordent un pardon sans fin. Le chrétien ne peut se croire généreux tant qu’il met une limite à sa miséricorde. Dans les relations entre frères, on ne peut jamais affirmer que « l’on a fait assez ». Et pour inculquer cette pratique qui peut, dans certains cas, nous paraître impossible, Jésus poursuit par une parabole lumineuse.
UN PERE D’UNE MISERICORDE INFINIE
En effet le Royaume des cieux est comparable à un Roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Il commençait quand on lui en amena un qui lui devait 10.000 talents. Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens. Alors tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné : « Prends patience envers moi et je te rembourserai tout ». Saisi de pitié, le maître le laissa partir et lui remit sa dette.
Matthieu est connu pour insister sur le jugement. Non pour menacer ses lecteurs, les faire trembler devant des perspectives terrifiantes. Mais pour souligner l’enjeu de la foi vécue. Il ne s’agit pas de cultiver un complexe de culpabilité et de se ronger de désespoir mais non plus de se donner trop vite un cachet de bonne conduite et s’estimer « en règle ». Dieu n’est ni un sur-moi implacable ni un père Noël bonasse. En sa présence, l’homme sensé ne peut que reconnaître sa faiblesse, sa dette immense et son incapacité radicale à s’en acquitter par des mérites. La somme faramineuse – l’équivalent de 60 millions de franc-or – souligne l’impossibilité de toute réparation ou autosatisfaction.
Mais la merveille est que Dieu n’exige pas de l’homme qu’il parvienne à se justifier et il lui pardonne tout. Parce qu’il « a pitié », dit la (mauvaise) traduction. Nous retrouvons ce verbe unique bâti sur le mot « matrice » et qui nous fait percevoir un Dieu qui aime son enfant souillé mais contrit (cf.18ème dimanche). Dieu ne pose pas un geste de vague condescendance qui ferait croire qu’au fond tout cela n’a aucune importance – ce qui ôterait tout prix à notre existence. Il est bouleversé devant l’homme prisonnier de ses fautes et qui ne peut qu’implorer le pardon et s’en remettre à la Miséricorde.
De même que l’homme devait d’abord demander pardon, de même il faudra que ce « pardonné » ait par la suite un comportement « pardonnant ».
DURETE DES HOMMES ENTRE EUX
En sortant, ce serviteur trouva un compagnon qui lui devait 100 pièces d’argent (100 franc-or). Il se jeta sur lui pour l’étrangler : « Rembourse-moi ta dette ! ». Tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : « Prends patience envers moi et je te rembourserai ! ».
Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé.
Ses compagnons, en voyant cela, furent profondément attristés et allèrent tout raconter au Maître.
Alors celui-ci le fit appeler : « Serviteur mauvais ! Je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié : ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? ». Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût tout remboursé.
Le récit souligne tant le parallélisme des scènes que le contraste des sommes dues. Entre hommes, il ne peut y avoir que des dettes infiniment moindres que celles qu’ils ont envers Dieu. Donc si Celui-ci a remis la dette, le bénéficiaire ne doit-il pas, « à son tour », remettre à un autre frère ? Certes ce pardon mutuel n’a pas la grandeur du pardon divin, et Matthieu le montre en utilisant un autre verbe. Mais le pardon quémandé et reçu de la part du Père doit se transmettre au frère. Sinon il est repris.
Il importe à nouveau de remarquer que ce serviteur, comme le premier d’ailleurs, et même si c’est par peur, implore la pitié du débiteur. Le frère doit aussi reconnaître sa dette !
Et Jésus conclut par la sentence qui éclaire la parabole :
C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera
si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur. »
C’est donc « chacun » des membres de communauté chrétienne, et pas seulement Pierre et tout responsable, qui est tenu par cette obligation. Et l’acte exigé ne peut se réduire à une parole du bout des lèvres : le pardon doit être accordé « de tout son cœur » c.à.d. avec l’engagement de toute la personne.
CONCLUSIONS
L’allusion à Caïn et Lamek n’était pas qu’une référence aux temps immémoriaux et aux féroces affrontements que nous imaginons entre ceux que nous appelons « des primitifs ». L’actualité quotidienne montre à suffisance qu’au sein de l’humanité soi-disant civilisée, la puissance de l’instinct de vengeance et la pression de l’agressivité nous jettent encore, et pour toujours sans doute, les uns contre les autres. Mémoire ce jour du fameux 11 septembre de New-York !!!…
Le chrétien a la joie immense de découvrir, grâce à Jésus, le vrai visage de Dieu, ce Père qui ne peut s’empêcher de s’attendrir devant ses enfants qui pèchent et le bafouent. Le fils prodigue peut toujours revenir à la maison tant qu’il a le cœur brisé par sa misère. Mais le pardon qu’il reçoit n’est pas qu’un coup d’éponge sur quelques taches insignifiantes. La miséricorde qu’il reçoit gratuitement doit se transmettre à son frère de façon tout aussi gratuite (cf.la parabole du fils prodigue chez Luc 15)
La prière du Notre Père pourrait nous amener à croire que Dieu calque son attitude sur la nôtre : « Pardonne-nous COMME nous pardonnons aussi… ». Notre parabole révèle que Dieu le Père est à l’origine du pardon et que le fils pardonné se doit de communiquer ce pardon à l’autre fils, qui est son frère. S’il ne le fait pas, il perd le pardon du Père. On peut donc retourner la béatitude de 5, 7 :
« Heureux ceux qui reçoivent miséricorde : ils deviendront miséricordieux » (peut-être !?)
EUCHARISTIE ET PARDON
Nous entrons dans la liturgie eucharistique en suppliant : « Seigneur prends pitié » : espérons que ce cri soit sincère !
Cette demande est exaucée sur le champ. Nous pouvons en être sûrs car, peu après, il nous est rappelé comment et à quel prix le pardon nous est accordé : « Ceci est mon Corps…Ceci est mon Sang versé pour vous…Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde… ».
C’est pourquoi, à la sortie, nous sommes consolidés dans notre identité de frères et sœurs pardonnés. Notre témoignage sera de recommencer, encore et toujours, de nous redistribuer le pardon. « Chacun et chacune…De tout son cœur… ». La paroisse est un espace où les membres se libèrent les uns les autres de leurs fardeaux.
Raphaël D
Tout d’abord, Père Jean, je me considère toujours comme une recommençante et malgré ce fait, je commence à bien connaître les Evangiles. Toi, tu dois les connaître par coeur lol.
Pour ce qui est de pardonner, je n’ai jamais de rancune et je pardonne facilement. Seulement, pardonner à qui ? Je suis entourée d’une famille qui m’aime et d’une gentille belle-famille. J’ai peu d’amis mais beaucoup de “relations” aussi la question de pardonner ne s’est jamais posée. JE DOIS AVOIR DE LA CHANCE.
Par contre, j’ai à ME FAIRE PARDONNER. Je suis paresseuse pour certaines choses, je suis assez égoïste et indépendante et parfois je mens à mon mari pour avoir la paix. Alors, j’espère de tout mon coeur qu’eux me pardonnent.
Et puis, j’ai à me faire pardonner par le SEIGNEUR. En effet, ça fait une dizaine de jours que je m’éloignais de lui, en me perdant dans le tourbillon de la vie. Mais maintenant, je me suis reprise en main et je suis toute heureuse de me retrouver avec Lui. Je dis mon chapelet de tout mon coeur, je m’investis dans les forums chrétiens, commenter ton homélie me fait le plus grand bien et même Chantal m’envoie ses “cours” de religion qui sont très intéressants.
Alors, pardonner bien sûr, mais je voudrais surtout être pardonnée de mes manquements à l’amour de mon prochain.
Je vous souhaite d’être aussi proche du Seigneur que je le suis en ce moment.
Christiane