Homélie du 15 septembre : 24ème dimanche du temps ordinaire
Abbé Jean Compazieu | 7 septembre 2013
La miséricorde du Père
Textes bibliques : Lire
Les lectures bibliques de ce dimanche nous révèlent un Dieu qui pardonne. Il ne se lasse jamais de faire miséricorde. Dans le livre de l’Exode (1ère lecture), nous trouvons l’histoire du veau d’or. Pendant que Moïse est en présence de Dieu sur la montagne, le peuple hébreu s’est fabriqué un dieu en forme de veau et s’est prosterné devant lui. A ce moment-là, Dieu fait part à Moïse de son intention de les engloutir. Alors Moïse supplie le Seigneur de renoncer à ce châtiment. Il découvre alors que malgré les infidélités des hommes, Dieu demeure toujours fidèle à ses promesses. Toute la Bible nous met en face des péchés des hommes mais surtout des pardons et de la miséricorde de Dieu.
Dans la seconde lecture, Saint Paul nous donne son propre témoignage. Lui-même a passé une partie de sa vie à persécuter les chrétiens. Mais un jour, il a fait une rencontre extraordinaire qui a complètement bouleversé son existence. A partir de ce jour, il est devenu un grand témoin de la foi. Il a compris que le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs. A travers cette lettre, Paul réaffirme sa reconnaissance au Christ pour le pardon qu’il a reçu. C’est important pour nous aujourd’hui qui avons trop tendance à juger nos frères pécheurs. Nous oublions alors que nous faisons partie du même lot. Ce que nous sommes devenus, nous le devons à la grâce du Christ. Comme Paul, nous sommes tous des pécheurs pardonnés.
L’Evangile nous montre également cette miséricorde de Dieu et sa joie de retrouver le pécheur qui revient à lui. Nous connaissons tous cette parabole de la brebis perdue. L’Evangile nous parle d’un homme qui a cent brebis et qui en perd une. Il laisse de côté les 99 pour aller à la recherche de celle qui est égarée. Mais notre pape François lit cette parabole en l’inversant. Il nous dit que l’Eglise possède une brebis et quelle en a perdu 99. L’urgence n’est pas d’entretenir celle qui est restée fidèle mais de partir à la recherche du troupeau perdu. C’est ce que nous lisons à la fin de l’Evangile de saint Marc : “Allez dans le monde entier : de tous les peuples, faites des disciples.”
Mais voilà que dans l’Evangile de ce jour, Jésus met l’accent sur un problème grave. Tout au long de son ministère, il s’est trouvé face à des scribes et des pharisiens qui lui ont reproché de faire bon accueil aux pécheurs. Eux-mêmes sont restés fidèles à la tradition jusque dans ses moindres détails. Mais Jésus leur reproche de confondre fidélité et raideur. C’est pour eux qu’il raconte les trois paraboles, celle de la brebis perdue, la pièce perdue et le fils perdu. Il voudrait leur faire comprendre qu’il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Pour lui, ils sont tellement importants qu’il est allé jusqu’à donner sa vie pour eux sur une croix.
Aujourd’hui encore, ils sont nombreux ceux et celles qui se sont détournés de Dieu. Alors, il fait tout pour les retrouver. C’est pour cela que Jésus est venu dans le monde. Il veut à tout prix chercher et sauver ceux qui courent à leur perdition. Certains croient que leur situation est désespérée. Mais pour Dieu, cela n’est pas vrai. Il est toujours capable de venir les chercher très loin et très bas. Saint Paul nous le dit à sa manière : “Là où le péché a abondé, la grâce (la miséricorde) a surabondé”. Rien ni personne ne peut nous séparer de l’amour qui est en lui.
Le grand message de cet Evangile c’est la joie extraordinaire de Dieu quand un seul pécheur se convertit. Et il veut tous nous associer à cette joie. Avec lui, le passé est passé. Désormais c’est un nouveau départ qui commence. Chaque fois que nous allons nous confesser c’est un jour de fête. Cette année, les JMJ nous ont montré de nombreux jeunes qui ont fait cette rencontre avec le Christ. Ils ont redécouvert la foi et se sont remis à lire l’Evangile. Malheureusement, nous risquons d’être comme le fils aîné qui ne voit que le passé. Il confond fidélité et raideur. Mais le véritable Dieu c’est celui qui fait la fête pour un seul pécheur qui revient à lui.
Pour décrire cette fête l’Evangile utilise des symboles forts. Le “plus beau vêtement” dont il parle c’est l’habit de lumière qu’Adam et Eve avaient rejeté. L’anneau au doigt, ce n’est pas seulement un signe d’alliance : c’est surtout celui qui servait à apposer les sceaux sur les actes importants du roi. C’est ainsi que le pécheur repentant retrouve sa place de fils mais aussi son autorité. Les sandales aux pieds servent à marcher à la suite du Christ mais aussi à aller annoncer la bonne nouvelle. Nous, pécheurs pardonnés, nous sommes tous envoyés à la recherche des brebis perdues.
En ce dimanche, nous te prions Seigneur : apprends-nous à ne pas mépriser les pécheurs mais à les regarder comme tu les vois. Donne-nous d’être auprès d’eux des témoins de ta miséricorde pour tous. Amen
Sources : Revues Signes, Feu Nouveau, Dimanche en Paroisse, Pour la célébration de l’Eucharistie (Feder et Gorius), vidéo du site de Sœur Claire
24ème dimanche ordinaire – année C – 15 septembre 2013 – Evangile de Luc 15, 1-32
LA PARABOLE DU VRAI DIEU
Que dire qui n’ait été dit mille fois au sujet de cette célèbre parabole dite « de l’enfant prodigue » ? Mais d’abord rectifier son titre car il y a deux fils et c’est au premier, l’aîné, que l’histoire s’adresse. Et surtout il y a l’immense, la pathétique, la douloureuse figure du père qui souffre d’être méconnu et de ne pouvoir réunir ses deux enfants. Et au fait, pourquoi n’y a-t-il pas de mère ? On verra qu’elle est bien là, cachée.
LA SITUATION : JESUS CRITIQUÉ
Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !? ». Alors Jésus leur dit cette parabole :…
Jésus n’est pas en train, comme un maître pharisien, de rappeler les listes des prescriptions de la loi. Si les pécheurs s’approchent de lui pour l’écouter avec intérêt, c’est donc qu’il tient un autre discours : il ne fait pas la morale, il présente un Dieu de pardon. Toutefois il n’offre pas une religion laxiste, édulcorée, un laisser-aller facile. Pas simple pour l’Eglise d’imiter son Seigneur. Trop souvent on l’entend prendre un ton sévère, dogmatique, moralisant et les pécheurs la fuient. Mais par ailleurs, si les chrétiens et les prêtres mangent et rient avec les pécheurs, ils donnent l’impression sinon de les approuver, en tout cas de minimiser leurs fautes et de laisser penser qu’ « au fond Dieu n’en demande pas tant ». Or il faut souligner que si Jésus « parle aux pécheurs et mange avec eux », il ne les approuve nullement et il n’agit de la sorte que pour les amener au changement. Il est empoigné par le devoir de tout faire afin de retrouver « le perdu ». Sa joie n’est folle que parce que le perdu est « retrouvé ». Le repas chez Lévi était joyeux parce que l’ancien publicain s’était converti (5, 29) ; le festin chez Zachée sera réussi parce que le voleur décidera sur le champ de changer de vie (19, 10). La mission se doit de conjuguer vérité et charité, enseignement et commensalité. Dans le partage de nourriture, la parole ne peut être dure et exclusive. Le banquet est appel à la communion.
LE PARCOURS DU CADET
« Père, donne-moi ma part »…Et il partit pour un pays lointain…Il gaspilla sa fortune dans une vie perdue…Or une famine survint. Il se trouva dans la misère. Il dut aller s’embaucher pour garder les cochons…Il aurait voulu manger les gousses mais personne ne lui donnait rien… »
« Si Dieu est, je ne suis pas libre ». Tentation permanente de ne croire devenir un vrai homme, enfin libre, que si l’on « tue le père ». Or, si l’on rejette l’être, il n’y a plus de fondement à l’existence que dans l’AVOIR. « Donne-moi », crie le garçon: avoir la fortune pour être heureux dans la satisfaction de ses envies. Mais sans l’ETRE, l’AVOIR se révèle une chimère : si puissant paraisse-t-il, il fond, se dissout, disparaît. Car dans ce « pays lointain » (loin de Dieu), il n’y a pas d’amour vrai : le cadet n’a pas trouvé d’épouse aimante et son patron l’exploite. On peut faire une société sans Dieu mais sera-t-elle vraiment humaine ?
Il réfléchit: « Les ouvriers chez mon père ont du pain, moi ici je meurs : je vais retourner, je lui dirai : « Père, j’ai péché ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils ; traite-moi comme un ouvrier ». Et il partit…
Il ne ressent nul remords d’avoir peiné son père dont il garde toujours la même fausse idée : « quelqu’un qui donne, quelqu’un qui châtie ». S’il revient, c’est par intérêt encore, pour survivre. Sans doute en chemin cherche-t-il à rencontrer quelqu’un qui le nourrirait et lui épargnerait l’humiliation du retour : mais personne ne lui donne rien. Car seul Dieu peut donner la Vie, la vraie Vie, aux hommes qui sont ses enfants.
LA PLUS BELLE IMAGE DE DIEU
La scène suivante devrait à tout jamais anéantir toutes les caricatures de Dieu que nous inventons.
Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut bouleversé aux entrailles : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. « Père, j’ai péché…. ». Mais son père dit : « Vite, apportez son plus beau vêtement, une bague, des sandales. Tuez le veau gras : mangeons et festoyons car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la Vie ; il était perdu et il est retrouvé ». Ils commencèrent la fête.
Accueil stupéfiant, inimaginable. Loin de fermer sa porte, de déchainer sa colère, d’exiger « la contrition parfaite » et une dure pénitence, Dieu est non pas « pris de pitié » mais « ému aux entrailles » : le verbe vient du mot « matrice ». Voici donc la mère qui manquait. Le fils fuyait un maître écrasant : il découvre un amour de miséricorde. Dieu est comme le bon Samaritain : il s’approche, il voit, il est « matricié »(Chouraqui), il court, il soigne par les baisers, il couvre de cadeaux, il conduit à l’auberge, à la maison. C’est ainsi que Jésus justifie sa conduite. Voilà pourquoi je vais vers les pécheurs et pourquoi je mange avec eux : c’est parce que je suis bouleversé par la détresse de l’homme sans Dieu. Si vous avez une autre image de Dieu (une Loi !), elle est fausse ! Or précisément les pharisiens sont enfermés dans cette conception : le fils aîné va les représenter.
L’AINÉ : LE FIDÈLE OBSERVANT IRRÉPROCHABLE.
L’aîné était aux champs. Arrivé près de la maison, il entend de la musique. Un domestique lui explique : « C’est ton frère qui est revenu : ton père a tué le veau gras… ». Alors il se mit en colère et refusa d’entrer. Son père sortit et le suppliait. Il éclate : « Voilà tant d’années que je te sers : jamais tu ne m’as donné un chevreau. Et quand ton fils arrive, après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer le veau gras !!?? ».Le père répondit : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ! Mais il fallait festoyer et se réjouir car ton frère était mort et il est revenu à la vie ; perdu, il est retrouvé ».
Les pharisiens étaient des hommes très pieux, ulcérés de voir tant de leurs frères désobéir à la Loi divine ; en réaction, ils se voulaient des observants minutieux, pratiquant à la lettre tous les préceptes, en en rajoutant même pour montrer leur foi. Pour eux, le pécheur était abominable devant Dieu : il devait se convertir, s’infliger toutes les pénitences prévues par la Loi. Aussi voir Jésus offrir le pardon avec une telle facilité ne pouvait leur apparaître que comme un scandale. L’aîné refuse d’entrer dans cette maison où l’on fête le retour d’un pécheur – fût-ce son frère ! Dieu pour moi mais pas pour l’autre.
TOUS PECHEURS : TOUS INVITES GRATUITEMENT
Les deux frères ont une fausse idée de Dieu : l’un veut se justifier par ses actes et l’autre veut s’épanouir dans ses passions. Pour les deux, Dieu est quelqu’un qui étouffe, qui doit donner ou qui réprime.
Et Jésus tente de leur révéler QUI EST-CE PERE : il est heureux de voir ses fils demeurer dans sa maison et vivre comme il le demande. Mais il est encore plus heureux lorsqu’il voit revenir un de ses fils qui s’était éloigné de lui et qui lui revient. Dieu donne une Loi mais il n’est pas un Dieu de règlements. Sa joie est d’offrir sa miséricorde à tous. De libérer le pécheur du désespoir. Et de persuader le fidèle qu’il ne peut rester fils du Père qu’en acceptant le pardon donné à son frère déchu.
La Joie de Dieu est de réunir dans la même demeure le bon pratiquant et l’impie. Seul il peut créer une communauté chrétienne où personne ne se targue de ses mérites, où nul ne ferme la porte à l’autre, où chacun se reconnaît pécheur pardonné.
Les deux fils représentent également la déchirure qui est en nous. Chacun est en même temps juste et pécheur : nous faisons le bien et nous tombons aussi dans le mal. Nous sommes déchirés. Seul Dieu le Père, Dieu l’Amour nous réconcilie avec nous-même.
L’Eglise, publicaine et pharisienne, pratiquante et pécheresse, est invitée au banquet offert gratuitement à tous ceux qui acceptent le pardon de Dieu et célèbrent dans une allégresse infinie ce Père tellement différent de nos conceptions mesquines. Et le banquet ouvert est celui où Jésus, l’Agneau innocent immolé, est partagé pour qu’ensemble nous chantions la Miséricorde de Notre Père.
Raphaël D. dominicain