Homélie du 30ème dimanche ordinaire (27 octobre)
Abbé Jean Compazieu | 18 octobre 2013
“Un pauvre a crié…
Dieu l’écoute et le sauve
Textes bibliques : Lire
Dimanche dernier, nous avons entendu une invitation à prier avec insistance et avec foi. Aujourd’hui, la Parole de Dieu nous rappelle les dispositions intérieures que nous devons avoir. La première lecture est extraite du livre de Ben Sirac. C’est une réponse à ceux qui contestent la foi traditionnelle parce que, disent-ils, cela ne fonctionne pas : les écarts entre la situation sociales des uns et des autres est un scandale ; les pauvres restent pauvres. Les démunis comme la veuve et l’orphelin ne s’en sortent pas ; la solidarité ne fonctionne plus.
Face à ce douloureux constat, une question se pose : que fait Dieu ? Il semble indifférent, insensible, impuissant. Quelqu’un m’écrivait un jour : “Il n’est jamais là quand on en a besoin.” A la suite des prophètes, Ben Sirac répond qu’il est bien présent. Le problème c’est que trop souvent, nous sommes ailleurs. Comme au temps des disciples d’Emmaüs, il marche avec nous, mais nous ne savons pas le reconnaître. Il entend le cri de tous ceux et celles qui s’adressent à lui. Il les délivre de toutes leurs angoisses et leur rend justice. Plus tard, Jésus précisera qu’il se reconnaîtra à travers le pauvre affamé et démuni.
Le psaume 33 nous dit précisément que Dieu n’est pas insensible aux souffrances du monde. Il entend le cri de tous ceux qui s’adressent à lui. Il les délivre de toutes leurs angoisses. Il se fait proche du “cœur brisé” et il “sauve”. Le Seigneur protège tous ceux qui se tournent vers lui. Voilà une bonne nouvelle qui change tout dans notre prière. On ne peut que le bénir en tout temps.
L’apôtre Paul (2ème lecture) se trouve lui aussi dans une situation de détresse. Il est en prison et il sait qu’il va être exécuté. Il se prépare à passer le relai à ceux qui vont le remplacer. Toute sa vie a été un combat. Mais il est resté fidèle jusqu’au bout. Il a rencontré des obstacles, des oppositions, des attaques. Mais le Seigneur a toujours été à ses côtés. Il s’est totalement impliqué dans sa mission qui était “d’annoncer l’Evangile et le faire connaître aux nations païennes”. Il attend maintenant la récompense promise au “serviteur fidèle’ : rencontrer le Seigneur et être avec lui dans son Royaume. C’est là son espérance et sa force. Sa prière est entièrement tournée vers Dieu.
C’est ainsi que Ben Sirac et Paul nous parlent de la prière du pauvre qui attend tout de Dieu. D’ailleurs, dans le mot prière, il y a “précarité”. Ce n’est pas pour rien que Jésus a dit : “Heureux les pauvres de cœur”, ceux qui ne sont pas imbus de leur supériorité. Le Seigneur les entend et il prend pitié. Il se range du côté des petits, des exclus. Il ne demande qu’à les combler de son amour. II compte sur nous pour le leur dire par toute notre vie.
L’Evangile est là aujourd’hui pour mettre en valeur la prière du pauvre. Jésus nous raconte une parabole pour faire passer un message de la plus haute importance. Il nous présente un pharisien et un publicain. Tous deux montent au temple pour prier. Ils pratiquent la même religion mais ils ne sont pas ensemble. Le pharisien présente à Dieu un bilan impressionnant : il n’a commis aucune faute, il jeûne, il fait l’aumône. Tout ce dont il est fier est sans doute vrai. D’ailleurs, ce n’est pas cela que Jésus lui reproche.
Le problème de cet homme c’est son orgueil. Il est convaincu d’être juste mais il n’a que mépris pour les autres. Il ne se contente pas de se donner des coups d’encensoir. II fait en même temps l’examen de conscience du publicain. Il n’a pas compris que pour être exaucé, il nous faut être plein de bonté et de compréhension pour les autres, même s’ils sont pécheurs. C’est ce que nous a rappelé la semaine missionnaire : Dieu veut le salut de tous les hommes.
Bien à distance, nous avons le publicain. C’est un homme méprisé et même détesté de tous. Il a pactisé avec l’occupant romain. De plus, il a rançonné la population. Il s’avoue pécheur et se reconnaît coupable. Il est au fond du gouffre. La seule chose qu’il peut faire c’est d’implorer le pardon de Dieu à son égard : “Mon Dieu, prend pitié du pécheur que je suis.”
Cette parabole nous est racontée pour nous annoncer une bonne nouvelle : elle nous dit que Dieu est Amour. Et cet amour va jusqu’au pardon. Tout cela nous est offert gratuitement et sans mérite de notre part. Celui qui se croit supérieur aux autres n’a rien compris. Comment pouvons-nous nous adresser à Dieu si nous n’avons que du mépris pour les autres ? Si nous réalisons quelque chose de bien, ce n’est pas dû à nos mérites mais à l’action du Seigneur en nous. Il attend de nous que nous venions à lui les mains vides pour les remplir de son amour. N’oublions pas qu’il a donné sa vie et versé son sang pour nous et pour la multitude, y compris pour les publicains. Il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Il compte sur nous pour les aimer et les porter dans notre prière.
Nous te rendons grâce, Seigneur Jésus, pour le don de toi-même que tu fais à tous les hommes. Rends nos cœurs assez pauvres pour s’émerveiller d’un tel amour. Seigneur, tu viens nous remplir de force pour annoncer l’Evangile. Cette force, c’est la grâce du baptême sans cesse vivifiée par l’Eucharistie. Nous te prions pour que tous les hommes puissent entendre et accueillir cette Bonne Nouvelle que tu es venu apporter au monde.
Sources : Revues Signes, Feu Nouveau, Dimanche en paroisse – Pour la célébration de l’Eucharistie (Feder et Gorius), Lectures bibliques des dimanches C (A. Vahoye)
30ème dimanche ordinaire – année C – 27 octobre 2013 –
LA PRIÈRE : NU DEVANT DIEU
Dans sa dernière catéchèse sur la prière, Jésus, par deux paraboles, met en garde contre deux dangers : d’abord celui du découragement (« la veuve et le juge » – dimanche passé), ensuite, aujourd’hui, celui de l’orgueil pharisien. Luc intitule d’emblée l’histoire pour en donner le sens:
Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres.
LA PRIERE DU PHARISIEN
« Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain.
Le pharisien se tenait là et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain.
Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’
Apparu vers le 2ème siècle avant Jésus, le mouvement pharisien était né de la volonté de sauvegarder la pureté de la foi juive. La fascinante civilisation grecque s’étendait partout et, pris par la contagion, bien des Juifs abandonnaient les pratiques des ancêtres ou en tout cas les suivaient avec négligence. C’est pourquoi devant ce relâchement qui leur apparaissait comme un péril très grave, des hommes pieux décidèrent, pour glorifier Dieu, d’observer avec minutie toutes les observances de la Loi et même d’en accroître les exigences : prières plus longues, jeûnes plus nombreux, ablutions multipliées… Pharisien ne signifie donc pas hypocrite (même s’il y avait des faux dévots dans leurs rangs) mais sans doute « séparé » car la rigueur de leurs pratiques les distinguait du commun de la population.
Quelle est la prière du pharisien mis en scène par Jésus ? Il vient rendre grâce à Dieu pour sa singularité : il a si bien résisté aux tentations qu’il a l’impression d’être au-dessus du lot. Autour de lui il ne voit que mœurs dissolues, débauche, escroquerie. Et même, sortant de son recueillement pour examiner ses voisins, jetant un coup d’œil dédaigneux sur cet homme là-bas qu’il connaît comme publicain donc pécheur grave, il se dit : « Moi, au moins, je ne suis pas comme cette racaille ». Et il fait mémoire des pratiques lourdes qu’il s’inflige : deux jeûnes par semaine (alors qu’une seule journée était imposée par an) et la dîme sur tout achat (alors que c’était le commerçant qui devait s’acquitter de cette redevance de 10 %). Le pharisien est un croyant très courageux, sa religion lui coûte beaucoup d’efforts et beaucoup d’argent : on ne rit pas avec la Loi. Et puisqu’il ne trouve rien à se reprocher, il rend grâce à son Dieu qui lui a donné la force de la fidélité et l’a rendu différent des autres. Il est un « juste », un homme tel que Dieu le demande, « en règle ».
LA PRIERE DU PUBLICAIN.
Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis’
On appelle « publicains » les hommes employés à percevoir les impôts : fréquemment sinon toujours, ils gonflaient les redevances et s’attribuaient des revenus confortables si bien qu’on les confondait avec les voleurs. Notre homme ici est l’un d’eux et, rongé par le remords, il se tient derrière, tête basse, n’osant même pas jeter un coup d’œil sur la Demeure de Dieu, sentant peser sur lui les regards méprisants des gens qui l’ont reconnu et qui sans doute se demandent comment il a osé entrer dans le temple.
Que faire ? Il est peut-être marié, père de famille, il exerce cette profession depuis des années et en effet il a bafoué la sainte Loi de Dieu : il a falsifié les comptes, il s’est enrichi au détriment de ses frères et il est à présent dans l’impossibilité de les rembourser. Il se voit comme dans une prison dont il ne peut sortir. Il ne cherche pas à se disculper ni à se trouver quand même quelque qualité qui contrebalancerait un peu son escroquerie. Se frappant la poitrine en signe de responsabilité personnelle et de pénitence, il ne peut que murmurer : « Je suis pécheur : Seigneur, prends pitié ».
LE JUGEMENT DE JESUS / DE DIEU
Si Jésus avait poursuivi en demandant : « Que pensez-vous de ces deux hommes ? », il est probable que son auditoire aurait admiré le pharisien comme un très bon fidèle sinon un saint et exigé que le publicain entreprenne un travail de conversion, restitue les produits de ses vols et accomplisse tous les sacrifices nécessaires pour obtenir la miséricorde de Dieu.
Or, à la stupeur générale, Jésus conclut par une déclaration scandaleuse, sans doute une des plus choquantes qu’il ait jamais prononcée :
Quand ce dernier rentra chez lui, c’est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste, et non pas l’autre.
Jésus est formel. La prière du publicain a été acceptée par Dieu qui l’a « ré-ajusté à Lui » car son attitude l’a conformé à ce que Dieu attendait. Il mettait en pratique ce que disait le psaume :
« Aie pitié de moi, mon Dieu ; selon ta grande miséricorde, efface mes torts ; purifie-moi de mon péché…Tu n’aimerais pas que j’offre un sacrifice… Le sacrifice voulu par Dieu, c’est un esprit brisé…Oh Dieu, tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé » (Ps 51)
Au contraire la prière du pharisien était doublement viciée : par son acharnement à multiplier les pratiques, il « faisait sa statue », il voulait se réaliser par ses propres forces, fier de ce qu’il faisait « pour Dieu ». Et en outre il se comparait aux autres, se jugeait supérieur aux pécheurs.
Et Jésus répète une sentence qui visait déjà ceux qui cherchaient à occuper les premières places aux banquets (14, 11) :
Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé.
Les verbes à la voix passive permettent de respecter la grandeur de Dieu en évitant de prononcer son Nom : donc la phrase signifie : « Dieu abaissera celui qui s’élève et il élèvera celui qui s’abaisse ». Sans cesse revient dans l’évangile cette prophétie du renversement des situations que proclamait le message central des Béatitudes : « Heureux vous qui avez faim maintenant, vous serez rassasiés…Malheureux vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim » (6, 20-26) – ce qu’illustrait la parabole du riche et de Lazare (16, 19).
Et d’ailleurs tout de suite après notre texte, Jésus reprendra ses apôtres si souvent préoccupés de leur grandeur et qui voulaient renvoyer les mères présentant leurs petits : « Laissez venir les enfants car le Royaume des cieux est à ceux qui sont comme eux » (18, 15-17).
Remarquons que la prière du pharisien est l’exact contraire de la prière de Marie : celle-ci aussi rend grâce mais elle se réjouit de ce « que Dieu fait pour elle » : « parce que Dieu s’est penché sur son humble servante…parce qu’il a fait pour moi des merveilles… ». Et elle chante l’éternel mode d’action de Dieu dans l’histoire : « Il disperse les orgueilleux…Il élève les humbles… » (1, 46-55)
D’un côté, l’obéissance à Dieu doit être recherchée mais elle ne peut jamais nous rendre fiers de nos exploits et nous enorgueillir en jugeant les autres car nous restons des « serviteurs quelconques » (17, 10). De l’autre côté, le péché doit être reconnu, regretté, pleuré sans jamais nous faire tomber dans le désespoir. L’humilité constitue l’attitude de base du croyant.
Raphaël D