6ème dimanche du temps ordinaire
Abbé Jean Compazieu | 7 février 2010“Heureux… Malheureux…”
Textes bibliques : Lire
Dans la 1ère lecture, nous trouvons une phrase qui ne manquera pas de choquer : “Maudit soit l’homme qui met sa confiance dans un mortel et qui s’appuie sur un être de chair.” Cette idée, nous la retrouvons dans l’évangile de ce jour : “Malheureux, vous les riches… Malheureux, vous qui êtes repus…” Dans les groupes bibliques qui prennent du temps pour réfléchir sur cet évangile, la question est souvent posée : Dieu peut-il maudire quelqu’un ? Non ce n’est pas possible. Dieu nous bénit sans cesse. Le problème c’est que bien souvent, nous faisons fausse route. Nous mettons notre sécurité dans les richesses, la réussite matérielle. Et c’est là que nous faisons notre propre malheur.
L’évangile nous présente quatre béatitudes suivies de quatre lamentations. Cela vaudrait la peine de les lire et de les relire tout au long de la semaine pour bien nous en imprégner. Nous le ferons en nous posant sous le regard de Dieu. Chacun peut se poser la question : Qu’est ce qui me rend “bien-heureux” dans ma vie ? Et qu’est ce qui me rend “mal-heureux” en m’orientant de façon contraire ? Le but de cet examen de conscience n’est pas d’abord de nous regarder nous-mêmes mais d’entrer dans un temps de prière. Le carême qui commence mercredi prochain nous aidera précisément à retrouver ce vrai chemin du bonheur. Nous serons invités à quitter celui qui nous conduit vers la perdition et à revenir vers le Seigneur qui ne cesse de nous appeler.
La première opposition entre bonheur et malheur concerne les pauvres. Non, il ne s’agit pas des SDF ni de ceux qui vivent dans la misère. Notre Dieu ne bénit pas la pauvreté. Bien au contraire, il en dénonce les causes et un jour nous aurons à rendre compte de nos responsabilités, de nos refus de partager. Il ne supporte pas que nous maintenions certains dans un état d’exclusion. Un jour, il nous a dit qu’il se reconnaît en chacun d’eux.
Alors quel est ce bonheur que Jésus proclame pour les pauvres ? Il s’adresse en fait à celui qui a un cœur de pauvre, celui qui n’a pas “le cœur fier ni le regard hautain” (psaume 131), celui qui se tourne vers Dieu pour combler tous ses manques. Bien que n’ayant aucun bien, il peut compter sur la gratuité de la grâce. Quant aux riches, ils croient tenir leur bonheur en possédant de grands biens. Mais le Royaume de Dieu ne se possède pas. Il est donné gratuitement, sans mérite de notre part. Alors oui, demandons à Dieu d’ouvrir notre cœur au vrai bonheur.
La deuxième opposition s’adresse aux affamés et aux repus : “Heureux vous qui avez faim maintenant, vous serez rassasiés… Malheureux vous qui êtes repus maintenant, vous aurez faim.” Comment parler du bonheur des trois milliards de personnes qui ne mangent pas à leur faim ? Encore une fois, ce n’est pas de cela que Jésus veut nous parler. Il s’adresse à ceux et celles qui ont faim du Royaume de Dieu. Le Seigneur ne demande qu’à nous combler. Mais il ne peut rien faire pour ceux qui ne pensent qu’aux nourritures terrestres. Ce renversement des valeurs a été chanté par Marie lors de sa visite chez sa cousine Elisabeth : Le Seigneur “comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides”.
La troisième opposition concerne ceux qui pleurent et ceux qui rient. Ces situations de malheur, nous les connaissons bien : chacun pense à la mort d’un être cher, la souffrance physique ou morale, les actes de violence qui font des victimes innocentes. Et bien sûr, nous n’oublions pas la catastrophe d’Haïti au cours de laquelle les gens ont tout perdu. De même certains pays d’Afrique vivent des situations épouvantables. Aujourd’hui, l’évangile nous interpelle : Ce ne sont pas ces épreuves qui rendent les gens heureux mais la présence du Christ au sein même de ce qu’ils vivent. Par contre ceux qui cherchent leur bonheur dans les seules joies de ce monde oublient le but de leur vie. Ils vont vers leur perte. Le Royaume de Dieu se reconnaît dans le passage de la mort à la vie. Rappelons nous les apôtres au jour de la Pentecôte : Ils étaient remplis de joie. C’est aussi cette joie que le Seigneur veut nous donner pour qu’elle rayonne et se communique autour de nous.
La dernière opposition nous rappelle que ce bonheur promis se joue maintenant et pas seulement dans un au-delà. Quand saint Luc écrit son évangile, les chrétiens vivent des situations tragiques. Etre reconnu disciple du Christ était dangereux. On risquait d’être poursuivi, emprisonné et mis à mort. Dans le monde d’aujourd’hui, cela arrive. Mais ce qui est le plus fréquent c’est de voir la foi et la parole de l’Eglise tournées en dérision. Il faut du courage pour affirmer notre foi et en témoigner. Les jeunes qui participent à des équipes d’aumôneries en savent quelque chose.
Le message de cet évangile rejoint celui de l’Apocalypse de Saint Jean : Vous vivez des situations douloureuses, vous êtes persécutés, tournés en dérision. Mais le mal n’aura pas le dernier mot ; il y aura un renversement de situation au bénéfice des croyants. Bien sûr, cela ne va pas gommer la dureté du temps présent. Le plus important c’est d’aider les croyants à tenir bon dans la fidélité et la persévérance. Etre attaché au Christ n’est pas toujours facile mais tout l’évangile est là pour nous rappeler qu’il veut nous associer tous à sa victoire sur le péché et la mort.
“Nous te bénissons, Seigneur, car nous sommes heureux de nous retrouver autour de toi. Tu donnes sens à notre vie et tu nous apprends à aimer. Fais-nous découvrir combien le chemin que tu nous proposes peut nous combler de joie à la suite de Jésus, ton Fils et notre frère…” (Oraisons nouvelles)
D’après diverses sources.
Cette semaine, je serai absent à partir de mardi après midi. Si vous souhaitez ajouter un commentaire, faites-le assez rapidement, sinon, il attendra jusqu’à vendredi soir.
Merci à tous
Jean C
Ceci étant, je m’intéresse beaucoup au sort des miens et des autres en partageant au maximum. Non seulement mon argent, mais aussi mon temps. Je considère autrui comme un membre de ma famille, et je veux que chacun soit plus heureux après notre rencontre qu’auparavant.
Le Carême arrive bientôt. Ainsi, je prendrai la voie étroite, celle qui mène au vrai bonheur. Celui que Dieu me réserve. Ce sera pour moi un temps de PURIFICATION et un RETOUR AUX VRAIES VALEURS.
En tout cas, la parole de Jésus m’atteint au coeur ; elle tranche au vif de ma chair et appelle à libérer chaque jour le plus humain en moi.
La Bonne Nouvelle, c’est de se rendre compte que plus je vais léger, mieux je me porte.
Pour finir, je dirai que Jésus m’avertit pour que je choisisse le bon chemin et pour que je ne m’égare pas. CAR JAMAIS IL NE SOUHAITE MON MALHEUR.
Christiane
Baptisé et oint de l’Esprit, Jésus, l’ancien charpentier de Nazareth, circule à travers la Galilée. Il doit annoncer partout la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu (4, 43). A plusieurs reprises, Luc a noté qu’il enseignait (4, 15; 4, 31; 5, 3; 5, 17; 6, 6) sans jamais préciser le contenu de cette catéchèse. L’occasion arrive enfin: voici le “Discours dans la plaine”, équivalent, en plus bref, du célèbre “Sermon sur la montagne” dans l’évangile de Matthieu (Mt 5-7) mais, étant donné l’arrivée du carême, nous n’en entendrons que le début. Voici comment Luc l’introduit (il faut ajouter une phrase supprimée dans le livre liturgique):
Jésus descendit de la montagne avec les 12 apôtres et s’arrêta dans la plaine. Il y avait là un grand nombre de ses disciples et une foule de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon. Ils étaient venus pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies; ceux qui étaient affligés d’esprits impurs étaient guéris; et toute la foule cherchait à le toucher parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous.
En quelques mois, la renommée du jeune prophète s’est partout répandue jusque dans le territoire du sud Liban: son message s’ouvre déjà au monde. Mais si la foule, où se mêlent donc juifs et païens, se presse, c’est d’abord et avant tout pour obtenir ou observer des guérisons corporelles. Jésus est considéré, de façon un peu magique, comme un réservoir de forces bénéfiques. Effectivement il opère des guérisons (car le salut de l’homme rejoint le corps) – et c’est ce qui explique son succès rapide – mais maintenant, par l’enseignement, il va proposer l’essentiel: la conversion du cœur de l’homme.
” Regardant alors ses disciples, Jésus dit: …”
Jésus prêche pour tout le monde mais ce regard indique qu’il s’adresse en premier lieu et spécialement à ses apôtres et disciples, c.à.d. ceux et celles qui ont décidé de se mettre à sa suite: ils doivent bien écouter pour apprendre ce qu’est l’existence de quelqu’un qui décide d’être un citoyen du Royaume de Dieu. Ici il ne s’agit plus de toucher pour obtenir un bienfait mais d’écouter avec l’intention de mettre en pratique ce qui a été dit afin d’obéir à la Volonté de Dieu.
Chez Matthieu, le Sermon commence par 8 Béatitudes et les 8 Plaintes sont reportées à la fin du ministère de Jésus (Mt 23). Ici chez Luc, le discours s’ouvre par 4 Béatitudes suivies des 4 antithèses: elles présentent d’emblée les deux chemins ouverts devant tout homme: le chemin du bonheur et de la vie, celui du malheur et de la mort. La disposition en colonnes montre les correspondances.
HEUREUX vous, les pauvres:
le Royaume de Dieu est à vous
Mais MALHEUREUX vous, les riches:
vous avez votre consolation.
HEUREUX vous qui avez faim maintenant:
vous serez rassasiés.
MALHEUREUX vous qui êtes repus maintenant: vous aurez faim.
HEUREUX vous qui pleurez maintenant:
vous rirez.
MALHEUREUX vous qui riez maintenant: vous serez dans le deuil et vous pleurerez.
HEUREUX êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous repoussent, quand ils insultent et rejettent votre nom
comme méprisable
à cause du Fils de l’Homme.
Ce jour-là, soyez heureux et sautez de joie car votre récompense est grande dans le ciel.
C’est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes.
MALHEUREUX êtes-vous
quand tous les hommes disent du bien de vous.
C’est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes.
Jésus ne vient pas remplacer le Décalogue, il ne dicte pas des commandements et des interdits: il s’appuie sur notre désir universel de bonheur. Il faut sans cesse répéter que Dieu ne se confond pas avec la mauvaise conscience: il n’est pas un œil sourcilleux, un agent aux aguets, un juge impitoyable. Il veut le bonheur de tout l’homme et de tous les hommes: donc l’Eglise est le lieu où l’on apprend à emprunter la voie de la réussite de la vie. La vraie !
La 1ère phrase donne le ton de tout l’ensemble: “Heureux vous les pauvres: le Royaume de Dieu est à vous”. Jésus est convaincu qu’en lui, et avec lui pour ceux qui obéissent à sa parole, Dieu commence à régner. Dans la liberté et l’amour. Mais avec l’exigence d’une réponse de l’homme. Car “Dieu qui nous a créés sans nous ne nous sauvera pas sans nous”(Ste Catherine de Sienne). Et ce Royaume bute, et butera toujours, sur des résistances énormes. Les disciples qui font confiance à Jésus partageront ses épreuves:
— Ils sont pauvres parce qu’ils ont compris que l’on ne peut servir Dieu et l’argent (16, 13) et que l’attachement aux richesses rend très difficile l’accès au royaume (18, 24).
— Ils ont faim parfois – car ils ne satisfont pas toutes leurs envies; comme le bon Samaritain, ils dépensent pour les malheureux qu’ils rencontrent (10, 29); ils invitent démunis et handicapés et “ils sont heureux parce que ceux-ci n’ont pas de quoi leur rendre” (14, 14); ils savent que l’amour du prochain n’est authentique que dans le partage réel.
— Ils pleurent aussi car ils souffrent du malheur des hommes, de ces multitudes qui se noient (5, 10); ils gémissent sur leurs propres fautes; comme St François, ils pleurent “parce que l’amour n’est pas aimé”; parce que la croix est lourde à porter; parce qu’ils échouent à transmettre la Bonne Nouvelle…
— Et ils sont persécutés ! Une Eglise qui rend service et qui demeure une Œuvre de bienfaisance est reconnue et appréciée, tout comme Jésus était applaudi pour ses guérisons. Mais adopter les mœurs de Jésus et annoncer l’Evangile, loin de provoquer admiration et applaudissements, suscite incompréhension, colère, hostilité, haine. Beaucoup se hérissent devant les exigences paradoxales de l’Evangile: pourquoi donc faut-il perdre sa vie pour la trouver ? Dès le début, et tout au long de son histoire, l’Eglise a été bafouée, les chrétiens arrêtés, battus, condamnés et exécutés. Mais si la persécution est le test d’une Eglise qui se veut fidèle à l’Evangile, si la haine est le signe de l’opposition infernale contre Dieu, alors au lieu de se lamenter sur une soi-disant décadence de l’Eglise, il faut plutôt se réjouir (comme Jésus nous y invite ici) puisque les historiens ont établi que le 20ème siècle a vu les plus cruelles, les plus longues et les plus terrifiantes vagues de persécutions contre les Chrétiens. Il y a eu plus de martyrs en 100 ans que dans tous les siècles précédents.
Lorsque l’Eglise est frappée à mort, elle ressuscite comme son Seigneur.
QUATRE AVERTISSEMENTS
Jésus ne fulmine ni malédictions ni condamnations: il prévient, il alerte, il tente d’ouvrir les yeux de son auditoire dont la majorité voudrait un Royaume de Dieu qui apporte santé et bienfaits sans exiger une transformation radicale de la manière de vivre.
“Malheureux…!” car vous croyez réussir votre vie en accroissant vos biens, en faisant bombance, en riant devant vos succès, en jubilant de recevoir les félicitations de votre entourage. Or il y aura un retournement des situations – qui sera mis en scène dans une parabole: un riche tout occupé de soi ne veut même pas offrir les miettes de ses festins au pauvre Lazare qui gît à sa porte. Plus tard, le malheureux est évidemment accueilli au ciel puisque Dieu ne peut que consoler son enfant qui a été écrasé. Et le riche est impuissant à le rejoindre puisqu’il a volontairement creusé, entre Lazare et lui, un fossé infranchissable. (16,19). Ce renversement qui fera apparaître la vérité des êtres, Marie l’avait déjà chanté dans son Magnificat: “Déployant la force de son bras, Dieu disperse les superbes, il renverse les puissants de leurs trônes, Il élève les humbles, Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides ..”. ( 1, 51).
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Ce magnifique portail de l’enseignement de Jésus n’est pas si simple et il continue de susciter des commentaires à l’infini. L’humanité n’est pas coupée en 2 colonnes: il ne s’agit là que de principes, d’orientations. Car que signifie ce petit mot: “pauvre” ? Un homme démuni peut avoir un cœur rempli de haine. Un roi qui perd son enfant est un pauvre homme. Et heureux le riche qui ose fonder une entreprise et offrir du travail à beaucoup. C’est pourquoi Matthieu précisera “pauvres en esprit” car le Royaume ne peut certes dépendre de la hauteur des revenus. Mais alors pointera le danger du pharisaïsme: jouer au tartuffe, se dire “pauvre de cœur” tout en menant beau train de vie et en offrant quelques cacahuètes aux démunis.
Entraînées dans une société où l’argent est roi, les Eglises occidentales n’ont-elles pas basculé dans la seconde colonne ?…
Je remercie le Bon Dieu qui nous guide et nous comble toujours de ses bienfaits et surtout pour sa Parole dont Il ne cesse de nous nourrir à travers ses serviteurs que vous êtes. C’est avec un grand intérêt que je lis les différents commentaires que vous nous proposez. Je demande seulement une petite précision par rapport à ce que le Père Raymond nous a présenté; précisément cette phrase: ” Dieu qui nous a créés sans nous ne nous sauvera pas sans nous”. C’est une phrases de Sainte Catherine de Sienne ou de Saint Augustin?