Fête du Corps et du Sang du Christ (homélie)
Abbé Jean Compazieu | 3 juin 2012Textes bibliques : Lire
En cette fête du Saint Sacrement, nous pensons à toutes les processions qui sont organisées à Lourdes et en divers lieux de pèlerinage. Des foules nombreuses accompagnent l’ostensoir d’un bout à l’autre de l’esplanade. Nous pensons aussi à tous ceux et celles qui passent de longues heures d’adoration devant le Saint Sacrement. Ces manifestations de notre foi sont des moments importants et il faut les encourager. Mais les textes bibliques de ce dimanche nous invitent à aller plus loin. Cette fête est aussi appelée “fête du Corps et du Sang du Christ”. Il nous faut tenir les deux : le Corps du Christ mais aussi son Sang.
La première lecture nous prépare à cette réalité. Le peuple hébreu se trouve rassemblé devant Moïse : pour sceller l’alliance entre Dieu et son peuple, Moïse utilise du sang : “voici le sang de l’alliance que sur la base de toutes ces paroles, Dieu a conclue avec vous.” Comprenons bien, ce n’est pas nous qui faisons alliance avec Dieu mais l’inverse ; c’est lui qui fait le premier pas et qui s’engage. Le rite du sang signifie que cet engagement est “à la vie et à la mort”. Dieu reste toujours fidèle à sa promesse. En réponse, le peuple s’engage à rester fidèle à la Parole de Dieu. Plus tard, Jésus se présentera comme le nouveau Moïse ; il sera le parfait médiateur entre Dieu et les hommes. Ses paroles seront celles de la Vie éternelle. Il nous obtiendra la libération définitive, non pas avec le sang des taureaux mais avec son propre sang.
La lettre aux hébreux nous rappelle ce qui se passe dans la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes : par la venue de Jésus Christ, sa mort sur la croix et sa résurrection, les rites de l’ancienne alliance sont dépassés. Ils ne sont pas périmés comme une chose que l’on jette. Ils étaient là pour annoncer une réalité bien plus grande : désormais, c’est Jésus qui porte à son plein achèvement les rites de l’ancienne alliance. En lui, c’est Dieu qui tient parole. Jésus n’offre pas le sang d’un animal mais son propre sang pour le salut de tous les hommes. A chaque Eucharistie c’est comme si nous assistions “en direct” au moment où Jésus fait le don de sa vie. Il n’y a qu’un sacrifice unique et définitif de Jésus. Quand nous sommes à la messe, c’est à ce sacrifice que nous assistons, à l’offrande de Jésus et à sa mort sur la croix. Nous assistons aussi à la victoire de l’amour sur la mort et nous en recevons les fruits.
L’évangile nous rapporte le dernier repas de Jésus. C’est son repas d’adieu. Il choisit le jour où l’on commémorait la libération d’Egypte au temps de Moïse. Mais aujourd’hui, ce n’est plus de cela qu’il s’agit. Ce qui compte c’est la réalité nouvelle. Le véritable Agneau mangé et immolé, c’est Jésus lui-même. Il se livre pour libérer l’humanité toute entière de tout ce qui l’éloigne de Dieu. Le Pain Eucharistique n’est pas fait seulement pour être adoré : il nous est donné pour être nourriture. C’est ainsi que nous entrons dans la communion avec Dieu. Nous n’oublions pas que nous sommes engagés “à la vie et à la mort.” Communier à la coupe, c’est accueillir la vie que le Christ nous donne par sa mort violente sur la croix. C’est aussi s’engager à se mettre à sa suite, donc être prêts nous aussi à donner notre vie.
Chaque fois que nous allons communier, nous recevons la vie du Christ. L’amour qui le conduit à se donner est éternellement présent. A chaque messe, il nous est manifesté. Il est rendu présent à nos yeux. A chaque messe, je peux dire : C’est aujourd’hui que cela se passe. Mais il y a une chose qu’il ne faut jamais oublier : Jésus a livré son Corps et versé son sang pour nous et pour la multitude. Cela signifie que nous ne pouvons pas être en communion avec lui sans l’être avec nos frères et nos sœurs. Si nous avons des problèmes avec quelqu’un, il faut d’abord se réconcilier. Etre disciple du Christ, c’est aimer comme lui et avec lui. Cela peut aller jusqu’au don de notre propre vie.
En évoquant le sang versé, nous pensons à tous ceux qui ont donné leur vie pour que nous puissions vivre dans un pays libre. Chaque année, nous faisons mémoire de leur sacrifice et nous nous faisons un devoir d’y être. Aujourd’hui et chaque dimanche, nous nous rassemblons pour célébrer celui qui a livré son Corps et versé son Sang pour nous et pour la multitude. Il continue à se donner pour être notre nourriture. C’est LE grand événement de la semaine. C’est ce qui s’est passé pour le jeune Marcel Callo. Engagé dans la JOC, il doit partir en Allemagne pour le Service du travail obligatoire. Il y souffre du froid et du manque de nourriture. Son travail est très éprouvant. Il cherche sa force dans sa foi au Christ puis dans l’Eucharistie. Il y entraîne des camarades français qui ne sont guère familiers de l’Eglise. Il finira ses jours dans un camp de concentration. Il a témoigné de sa foi jusqu’au sacrifice de sa vie.
Quand nous sommes à l’Eucharistie, nous faisons confiance aux paroles de Jésus qui a dit : “Ceci est mon Corps livré pour vous.” Ce mystère dépasse notre raison mais il n’est pas absurde. La foi soutient et prolonge notre intelligence sans la nier. Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique. Ce dernier a été “livré” aux mains des hommes. A Noël, c’était le corps fragile d’un petit bébé livré aux soins de Marie et Joseph. Au cours de la Passion le Vendredi Saint, c’est le corps blessé d’un condamné, livré à la cruauté des hommes pécheurs. Aujourd’hui, c’est dans l’hostie consacrée que Jésus continue à se livrer pour nous. Il se donne à nous comme notre serviteur et notre nourriture par amour pour nous et pour le monde. Il aime chacun d’un amour qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Il attend de nous que nous nous laissions bouleverser par lui, que nous lui rendions “amour pour amour.”
En ce jour, nous te prions : accorde-nous de recevoir dans l’action de grâce ce don que tu nous fais de ta vie et de ton amour. Pour ton corps qui se livre aux pécheurs, béni sois-tu!
Sources : Revues Signes et Feu Nouveau. Dossiers personnels.
L’EUCHARISTIE POUR VIVRE LE CHEMIN PASCAL
Le centre de l’année liturgique (rappelons que celle-ci est le chemin de la formation permanente des chrétiens) est balisé par la succession de 7 célébrations qui constituent le cœur de notre foi.
1) JEUDI SAINT : au moment même où il entre dans ce jour terrifiant où les hommes vont le mettre à mort, Jésus, conscient, réunit ses disciples pour le repas pascal. On ne me prend pas la vie, je la donne moi-même. Ce pain, ce vin, c’est moi : prenez, mangez, buvez. La Pâque n’est plus le signe d’une année nouvelle ni même le souvenir de la sortie d’Egypte des ancêtres esclaves : Jésus est l’agneau qui libère les hommes de la prison du péché et ouvre les temps nouveaux. Aucun convive ne comprend ce que Jésus réalise : nous non plus, nous ne percevons pas l’enjeu et nous nous ennuyons à la messe.
2) VENDREDI SAINT : pouvoir religieux et pouvoir politique se liguent pour supprimer le Nazaréen, la foule laisse faire et les disciples se sont enfuis. Dieu tombe au cœur du gouffre. Sur la croix, l’exacerbation des souffrances conduit l’amour à son paroxysme. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »…même si ceux-ci vous ont lâchement abandonné.
3) PÂQUES : La Bonne Nouvelle éclate à l’aurore : l’amour ne pouvait être prisonnier de la tombe, le suaire ne gardait que des traces sanglantes. Jésus est Vivant. La véritable révolution que le peuple attendait ne consistait pas à chasser les occupants ni à condamner les pécheurs mais à libérer de la tyrannie du remords et de la mort. Jésus s’offre à la reconnaissance des croyants. Foi et doutes s’entrecroisent.
4) ASCENSION : Ne cherchez plus des apparitions miraculeuses, ne restez pas le nez en l’air, ne calculez pas la date de la fin du monde : croyez que Jésus est le seul Seigneur et priez pour recevoir l’Esprit qui vous changera. Le sens de l’histoire, c’est Dieu dans l’homme et l’homme en Dieu.
5) PENTECÔTE : Aspirez le Souffle nouveau. Ne faites pas le fort : accueillez la Force de Dieu. Ne restez pas dans votre coin : rejoignez la communauté royale, pardonnée, joyeuse. Manifestez votre bonheur du salut gratuit et proclamez les merveilles que Dieu accomplit. Aimez-vous donc maintenant comme le Christ vous a aimés.
6) TRINITE : Donc Dieu n’est plus un Nom vague et imprononçable ; Jésus n’est plus un maître, un guérisseur ou un prophète ; la spiritualité n’est plus travail sur soi, ascèse, expériences inédites, perte dans le nirvana. Accueillant la Pâque de Jésus et décidé à faire la sienne, le disciple devient enfant du Père, frère ou sœur du Fils, personne animée par l’Esprit. Se glorifiant de la Croix, priant le « Notre Père », les croyants vivent en communion des Trois.
7) Et enfin, aujourd’hui, 7ème et dernier sommet de la série: FETE DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST – La fête a été ajoutée longtemps après les autres : elle est le signe que l’Eglise a compris le rôle essentiel de l’Eucharistie. Elle est à l’entrée et à la clôture de la série.
Porte d’entrée dans la Passion et la Résurrection de Jésus, elle est le portique par lequel l’Eglise s’élance dans le monde afin de témoigner de la victoire de Pâques et inviter tous les hommes à la même table.
C’est par l’Eucharistie que nous entrons dans le chemin de Jésus et le mystère pascal : c’est avec elle que nous allons poursuivre ce chemin en nous retrouvant, chaque dimanche, à la messe.
La fin du parcours ne sera pas le néant mais la communion de Dieu et ses enfants : la TOUSSAINT.
EVANGILE DE CE DIMANCHE
Le premier jour de la Fête des pains sans levain où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour ton repas pascal ? ». Il envoie 2 disciples : « Allez à la ville : vous y rencontrerez un homme portant une cruche d’eau ; suivez-le et là où il entrera, dites au propriétaire : « Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ? ». Il vous montrera, à l’étage, une grande salle toute prête pour un repas; faites-y pour nous les préparatifs ». Les disciples partirent, allèrent en ville ; tout se passa comme Jésus le leur avait dit. Et ils préparèrent la Pâque.
Le récit insiste sur la conscience de Jésus : il sait ce qu’il fait, il n’est pas une victime aveugle qui va tomber dans le piège tendu par ses ennemis. Ce repas du soir montre qu’il agit (et avec quel amour !) ce qu’il va subir (avec tant de souffrances !). Ce qu’on appelle sa « passion » est pour lui une « action », son acte suprême. Ses adversaires seront persuadés de « le saisir » : or c’est lui qui auparavant s’offre à ses disciples aimés afin qu’ils « le saisissent » dans le pain et le vin. L’amour va transfigurer l’événement en don. Peut-on se dire « croyant » en se détournant de ce don ? Il est vain d’attendre une Eglise parfaite : à table, saint Jean est toujours proche de celui qui peut devenir « saint Judas ».
Il importe de ne pas réduire ce repas au niveau d’un aimable pique-nique, d’une « petite croûte » mangée entre copains qui s’entendent bien. Les disciples ne se sont pas choisis par affinité : ils sont ensemble parce que tous appelés par leur Seigneur. Le repas a pour but de les unir d’abord par rapport à Lui.
Ce repas ne s’improvise pas dans un joyeux désordre : certains sont chargés de le préparer c.à.d. de se procurer les aliments, de mettre la table, de veiller à l’éclairage, de prévoir l’installation des convives. Dans toute communauté chrétienne, certains devraient se sentir très fiers d’être choisis pour cette tâche préliminaire. Ainsi les linges ne seraient pas souillés, les livres seraient prêts à la page, les lecteurs auraient préparé leur texte, la sonorisation serait réglée, le lieu serait propre, chaleureux et accueillant, les signes d’hospitalité joyeuse réjouiraient chaque arrivant.
Quel est donc ce signe de reconnaissance de « l’homme qui porte une cruche » – corvée toujours laissée aux femmes ? Un esclave sans doute. Mais qui pénètre chez son maître propriétaire d’une maison spacieuse. Le pauvre porte la vie ; le riche ouvre sa demeure et accueille ceux que le Seigneur lui apporte comme frères ! Révolution sociale de l’Eucharistie de Jésus !
Le but de l’Eucharistie est de réunir les participants (« Que tous soient UN »). Mais peut-on d’emblée entrer en communauté conviviale si dès l’abord on est tenu de se taire, de prendre une mine pieuse (donc ennuyée) ? Car on ne va pas à la messe pour « se recueillir » (but de la prière personnelle) mais pour « se laisser recueillir ensemble » en Corps du Christ.
La Pâque est un repas sacré qui comporte un rituel. Il fallait obligatoirement se raconter l’un à l’autre la sortie d’Egypte dans le but de louer Dieu qui prend le parti des pauvres contre les tyrans et dans la joie de bénéficier de cette libération car tout convive doit se considérer comme libéré par Dieu. Les chrétiens ont-ils l’occasion de « parler leur foi », de débattre sur les liens liturgie / vie quotidienne ?…
S. Paul écrira : « Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Cor 11, 26). L’acte présent du repas est porteur du mémorial de la Croix passée et il envoie vers l’avenir. L’Eucharistie donne à l’existence humaine sens et signification.
Raphaël D