Homélie de la fête de tous les saints : 1er novembre
Abbé Jean Compazieu | 18 octobre 2013
L’immense cortège de tous les saints
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Nous voici parvenus à la fête de Toussaint. Nous avons peut-être du mal à en faire une fête joyeuse. Toutes ces visites aux cimetières réveillent en nous de douloureux souvenirs. En ce jour, beaucoup se sont mis en route vers la terre de leur famille pour se souvenir de ceux qui nous ont précédés. Toutes ces fleurs que nous avons déposées sur les tombes de nos défunts veulent témoigner de l’affection que nous leur portons.
C’est vrai, nous ne pouvons pas faire moins un jour de Toussaint. Mais nous pouvons faire beaucoup mieux. Cette journée est bien plus que celle du souvenir. C’est surtout la fête de l’avenir. La sainteté c’est en effet l’avenir proposé par Dieu à tous les hommes. Nous sommes tous appelés à devenir des saints. Le problème c’est que, trop souvent, nous parlons bien mal de la sainteté ; nous nous en faisons une fausse image. Nous imaginons les saints comme des êtres lointains, bien au-dessus de nous, qui ont accomplis des performances extraordinaires à coups de renoncements et de sacrifices exceptionnels.
La première chose que nous ne devons jamais oublier, c’est que Dieu seul est saint. La première lecture nous dit que c’est lui qui marque et qui rassemble le peuple élu. C’est lui qui offre à tous, le véritable bonheur. Tous ces hommes et ces femmes qui ont été reconnus saints, étaient des gens comme nous. Ils ont connu comme nous les limites de la nature humaine. Mais ils se sont livrés tout entiers, avec leurs qualités, leurs défauts et leurs passions au dynamisme de Dieu et à son amour passionné. Tous ces morts que nous pensions emportés dans la tourmente sont avec Jésus dans le bonheur de son Royaume. Ils ont obtenu la récompense de leur amour et de leur fidélité. Ce message est important pour notre époque troublée et bouleversée. Accueillons-le comme un appel à réchauffer notre espérance.
Les chrétiens d’aujourd’hui comme ceux d’autrefois ont besoin de héros et de modèles. N’oublions jamais qu’avant d’être mis sur un piédestal, les saints ont cheminé comme chacun de nous. Leur vie a été un combat contre les forces du mal. Ce que Dieu a réalisé pour chacun d’eux, il le veut aussi pour nous. Nous partageons avec eux la même vocation. Pour y parvenir, Jésus nous montre le chemin. C’est l’évangile qui vient d’être lu.
“Heureux les pauvres de cœur !” Ne nous y trompons pas. Cette pauvreté dont parle Jésus n’est pas la misère. La pauvreté est toujours un fléau contre lequel il nous faut lutter en lien avec les organismes de solidarité. L’hiver qui arrive est là pour nous le rappeler. Le bonheur des pauvres de cœur dont parle Jésus, c’est tout autre chose. Et il ne concerne pas que la vie future ; il est surtout pour la vie présente : Jésus promet le bonheur immédiat à ceux qui ne sont pas pleins d’eux-mêmes mais qui sont aptes à accueillir le Royaume de Dieu. Ici la pauvreté est avant tout une disposition du cœur.
Pour comprendre toute la portée de ces béatitudes, c’est vers le Christ que nous devons nous tourner. Il est le pauvre de cœur qui attend tout de Dieu et qui choisit de lui être fidèle jusqu’au bout. Il est le doux, celui qui relève la femme adultère sans brusquer ses accusateurs. Il ne cherche pas à mettre les coupables dans l’embarras ; et surtout il se réjouit quand il rencontre des gens de bonne volonté (Zachée qui s’est engagé à rembourser ses victimes et à partager avec les pauvres). Il est le miséricordieux qui se penche vers les misères physiques et morales et qui cherche à les apaiser. Il est l’artisan de paix qui invite sans cesse à pardonner et qui a donné l’exemple sur la croix : “Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.” Quant à être persécuté, il suffit de lire la Passion pour s’en rendre compte. Lui le Fils de Dieu a été condamné au nom même de Dieu.
Ces béatitudes de l’évangile sont avant tout un portrait de Jésus lui-même. Elles nous montrent le chemin pour parvenir au vrai bonheur. Accueillons-les comme un appel à nous laisser modeler par lui à son image. Alors, tous ensembles, nous dessinerons son portrait. Comme un vitrail, nous reflèterons sa lumière pour que tous les hommes nos frères puissent être attirés par Lui.
Quelqu’un a dit que la Toussaint c’est la “séance de rattrapage”. Elle nous annonce la destinée glorieuse de tous les membres du Peuple de Dieu, non pas les purs mais les pécheurs sauvés, les pécheurs que Dieu veut combler de sa sainteté à lui. Marie, la Reine de la Paix et de tous les saints est toujours là pour nous ramener inlassablement vers le Christ. C’est avec elle que tous les saints ont appris à tout recevoir comme un don gratuit du Fils. Et c’est avec elle qu’ils vivent actuellement cachés dans le secret du Père.
En union avec la foule immense de tous les saints du ciel et avec tous les chrétiens du monde entier, chantons notre action de grâce au Seigneur. Et nous lui demandons qu’il nous donne force et courage pour faire de notre vie une marche vers lui, vers ce Royaume qu’il a préparé pour tous ceux et celles qui acceptent de le suivre.
J’ai beaucoup aimé cette présentation de la Toussaint qui tient compte des coutumes comme celle d’aller sur les tombes!
merci Sr Claire de nous aider à mieux comprendre les textes liturgiques pour en vivre au quotidien
Que l’Esprit ouvre toujours le coeur de tous les fidèles à l’ intelligence des Ecritures
FÊTE DE LA TOUSSAINT – année C – Vendredi 1er novembre 2013 – Evangile de Matthieu 5, 1-12
TOUSSAINT : FÊTE DES VIVANTS ET NON DES MORTS
Parce que les médias nous rapportent chaque jour l’indéfinie succession des accidents, des guerres, des tremblements de terre, des cyclones et autres catastrophes, ce terrifiant portrait de notre monde risque de nous faire conclure comme un personnage de Shakespeare : « L’histoire humaine, c’est un récit raconté par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » (Macbeth). Le temps nous entraîne-t-il dans une course absurde ? Vaut-il la peine de bien vivre ? L’urgence est-elle de se réfugier dans la petite bulle d’un bonheur fragile et de fuir dans le divertissement, la consommation, le Lotto et les conditions météorologiques favorables ?…
Jésus de Nazareth, sans forcer quiconque, nous a présenté le programme fondamental d’une existence humaine authentique, la manière de faire l’histoire de façon responsable, il a eu assez de foi dans l’homme que pour nous appeler au fond de nos turpitudes. Il nous a proposé un idéal d’une beauté insurpassable et qui s’ouvre par le portique grandiose des 8 Béatitudes.
Contre tous ceux qui ricanent de la Bonne Nouvelle et qui veulent l’homme condamné à la bassesse, l’Eglise affirme que, depuis 20 siècles, des hommes et des femmes de toutes conditions et de toutes religions ont été fascinés par l’Evangile et se sont engagés sur le chemin de ce véritable bonheur qui conduit l’homme à Dieu. On les appelle des « Saints » et ils constituent une foule innombrable : aujourd’hui leur souvenir nous encourage à méditer leur chemin car il reste le seul valable.
HEUREUX …
Nous cherchons tous à nous accomplir dans une existence pleine qui satisfasse ce qu’il y a de plus haut en nous. Le bonheur n’est pas nécessairement mesquin. En hébreu, le mot qui le désigne (asher) signifie également « en route ». L’appel de Jésus ne nous offre pas un état de vie où l’on s’installe mais nous lance une vocation. Chaque béatitude n’est jamais qu’un commencement, une orée, une aube, un chemin ardu, semé d’embûches et rares sont ceux qui s’y engagent car les trompettes de la publicité appellent à son contraire : une route large, facile où l’on s’éclate. Non, on ne vit pas d’un coup les 8 facettes du bonheur évangélique : la tentation demeure de rejoindre le troupeau, la peur fait revenir en arrière. Mais l’appel de Jésus ne cessera jamais de retentir et de nous rejoindre là même où nous sommes lourdement tombés. Relève-toi ; recommence. Le bonheur est dans le chemin. L’étoile n’est pas inaccessible.
On peut montrer que les Béatitudes vont par paires : une homélie ne peut qu’esquisser la richesse de leur signification que le lecteur devra approfondir pour en extraire les conséquences pratiques.
Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux !
Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise !
Le mot « pauvre » est ambigu : aussi Matthieu précise « de cœur ». Sauf pour quelques disciples qui le suivaient en route, Jésus n’a pas obligé les autres au dénuement total jusqu’à en faire des mendiants : il faut assurer la subsistance de la famille, élever ses enfants, remplir ses obligations professionnelles. Mais il a fait une sévère mise en garde : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » qui peut toujours devenir un « mammôn », un dieu fascinant qui promet assurance, plaisirs, tranquillité, bon renom. La 2ème béatitude, citation du psaume 37, éclaire le problème de la pauvreté : on y presse le juste de rester « doux », non pas nouille mais confiant dans le Seigneur sans envier les impies passionnés par le désir d’avoir plus, de s’enrichir sans relâche. « Reste calme près du Seigneur, espère en lui ; ne t’enflamme pas contre l’homme qui réussit avec ruse…Les méchants seront arrachés mais les humbles posséderont le pays ».Accroître sans cesse ses possessions est une impiété ; l’avidité actuelle nous conduit dans le mur. Seul celui qui s’assure près du Seigneur entrera dans le Royaume de Dieu.
Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés !
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés !
La 3ème béatitude ne canonise pas les pleurnichards, elle s’explique par allusion à Isaïe 61, 2 : le Messie viendra consoler, consolider, réconforter ceux qui pleurent sur l’immense malheur des hommes, sur la détresse du petit peuple écrasé par les ignobles et qui sont animés par un désir fou de justice et de droit. Le mal semble si souvent triompher : le Bien l’emportera. Dans une société résignée au pire, il nous faut une espérance aussi forte qu’une soif dans le désert.
Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde !
Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu !
Le mot merveilleux de « miséricorde » désigne le cœur qui est déchiré par la misère de l’autre et qui fait tout pour lui venir en aide : par le soutien, les soins, la présence affectueuse, le pardon des offenses. Heureux cet homme car Dieu le comblera de son amour. On reçoit de Dieu autant qu’on donne au frère. Quant à l’adjectif « pur », il est à prendre au sens métallurgique, comme on dit « de l’or pur ». Le cœur qui refuse d’être double, tiraillé pas des intérêts contraires, s’orientera vers Dieu, il verra la Lumière. Celui qui hésitera sans cesse, qui recherchera encore les biens de ce monde sera taraudé de questions, restera dans l’obscurité. La foi est une option radicale.
Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux !
C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
Par sa vie simple, son désir de Dieu, sa pitié, sa pureté, l’homme des béatitudes œuvre inlassablement pour la paix et ainsi se rapproche toujours davantage de Dieu ; sa vie paraîtra comme un témoignage authentique. François d’Assise, l’abbé Pierre, Martin Luther King, le père Damien et tant d’autres sont reconnus comme des « enfants de Dieu ». Mais que l’homme des béatitudes ne se figure pas qu’il va attirer admiration, gratitude, applaudissements. Sa manière de vivre telle qu’on vient de la décrire est l’exact contraire du programme prôné par le monde qui cherche force, richesse, cupidité, vengeance, impureté. Jésus, le Fils, a été mis en croix ; après lui, Jacques, Pierre, Paul ont été mis à mort. Depuis quelque temps, l’Eglise chrétienne est la religion la plus persécutée du monde (plus de 100.000 victimes par an – tuées, violées, exilées- selon certaines sources).
Pourtant Jésus ose appeler ses frères en larmes à se réjouir : les attaques contre eux sont le signe que l’Esprit les habite, qu’ils sont les prophètes du nouveau monde tel que Jésus le voulait et tel que l’Esprit l’accouche dans les douleurs. Qu’ils n’oublient pas : la nuit de l’agonie est devenue Lumière de Vérité ; le cri sur la croix s’est mué en proclamation du bonheur. Le rire des satisfaits tourne à la grimace : la montée des Béatitudes donne un bonheur inébranlable.
CONCLUSION
PAUVRETE ET PARTAGE – DESIR ET ESPERANCE– CŒUR ET AMOUR – PAIX ET LARMES.
Les Béatitudes ne sont pas fuite mais engagement. Elles définissent la base sur laquelle construire une existence solide. Elles ouvrent sur le chemin de sainteté qui mène à l’Infini.
Dans « le bruit et la fureur » du monde, elles font entendre une petite musique de douceur et de Vie.
Raphaël D., dominicain