Homélie du 29e dimanche du temps ordinaire.
Abbé Jean Compazieu | 10 octobre 2015
Un pouvoir, un service
Textes bibliques : Lire
La première lecture est extraite du livre d’Isaïe. Le prophète s’adresse à un peuple déporté vers une terre étrangère. Il lui fait comprendre que sa libération ne saurait venir d’un guerrier fort de sa puissance militaire. Elle ne peut venir que d’un homme capable de bouleverser le cœur de l’homme en l’arrachant à ses illusions. Ce texte est un message d’espérance pour chacun de nous. Il nous dit que Dieu n’abandonne jamais son peuple. Le prophète parle d’un serviteur qui « justifiera les multitudes ».
Ce poème du serviteur souffrant, Jésus l’a fait sien. Il y a vu le programme de sa mission rédemptrice. Et aujourd’hui, il veut nous associer tous à cette mission. Il nous envoie vers les autres, en particulier vers ceux et celles qui sont douloureusement éprouvés par la souffrance, la maladie, l’exclusion. Cela passe par des visites, des gestes d’accueil, de partage et d’amitié. Aller vers celui qui n’a pas le moral, celui qui souffre, c’est une manière de participer à la mission du Christ serviteur. Quand nous allons vers eux avec Jésus et Marie, nos visites deviennent des “visitations”.
La lettre aux hébreux nous montre le Christ, grand prêtre, qui a partagé nos épreuves. Il est celui qui nous fait grâce et nous obtient la miséricorde. Il fait le lien entre la terre et le ciel. Il parle des hommes à Dieu et de Dieu aux hommes. Il intercède pour leur salut. Nous sommes tous appelés à participer au sacerdoce du Christ. Notre mission c’est de faire miséricorde, de pardonner, d’accueillir ceux et celles qui le met sur notre route. Et surtout, ne manquons pas de les porter dans notre prière. C’est ainsi que nous deviendrons de fidèles témoins de l’Évangile.
Mais la tentation de revenir en arrière est toujours bien présente. Dimanche dernier, l’Évangile nous parlait des richesses et de ses dangers. Aujourd’hui, il aborde la question du pouvoir. Ils sont nombreux ceux qui cherchent les bonnes places dans la profession, la politique nationale ou internationale. Cela nous conduit à une société fondée sur des rapports de force qui ne peut qu’entraîner violences et injustices.
L’Évangile nous montre les disciples Jacques et Jean qui ont réclamé d’être à droite et à gauche de Jésus dans son Royaume. Les autres disciples s’indignent contre ceux qui ont voulu « se pousser ». C’est normal car ils se disent : « pourquoi pas nous ? » Mais Jésus ne s’indigne pas. Il sait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. S’il intervient, c’est pour les amener et nous amener à changer de perspective. Il dénonce les rapports de force et de supériorité. Le pouvoir comme écrasement des autres ne doit pas avoir sa place parmi les disciples.
La gloire du Christ se manifestera sur la croix. À sa droite et à sa gauche, nous trouverons deux bandits. La coupe qu’il boira sera celle de sa Passion qui l’introduira dans le Royaume. Là, toutes les relations seront transformées. Chacun y découvrira que sa place est un don de Dieu. C’est ainsi que Jésus a aboli la loi du plus fort. Il l’a remplacée par celle du plus aimant. C’est une conversion de tous les jours que nous obtiendrons en contemplant et un accueillant « Jésus serviteur ». Il est celui qui « nous a aimés comme on n’a jamais aimé. »
C’est très important pour nous aujourd’hui. Notre monde juge le christianisme à travers ceux qui le pratiquent, donc à travers nous. Notre première tâche c’est de nous laisser imprégner par l’Esprit Saint pour ne pas déformer le message de l’Évangile. Notre travail c’est de poursuivre la mission du Christ ; c’est d’annoncer une bonne nouvelle, celle de l’amour de Dieu pour chacun de ses enfants. Mais dans notre monde, deux hommes sur trois ne le connaissent pas. C’est une raison de plus pour témoigner à temps et à contretemps de la bonne nouvelle de l’Évangile.
À l’occasion de la journée missionnaire, notre pape François nous rappelle que l’Évangile doit être annoncé à tous les peuples en particulier à ceux qui ne l’ont jamais entendu. Ces peuples qui ont besoin de l’annonce de l’Évangile sont aussi au milieu de nous, dans nos grandes villes ou zones rurales. Celui qui suit le Christ ne peut être que missionnaire. Il est envoyé pour annoncer l’Évangile qui est source de joie.
En conclusion nous faisons nôtre les paroles de ce chant :
« Allez vous en sur les places et sur les parvis !
Allez vous en sur les places, y chercher tous mes amis,
tous mes enfants de lumière qui vivent dans la nuit.
Allez vous en sur les places
Et soyez mes témoins chaque jour. » Amen
Sous le figuier avec Nathanaël
Sources : Revue Signes – Guide Emmaüs des dimanches et fêtes – Homélies du dimanche (Mgr Léon Soulier) – Reste avec nous quand vient le soir (Laurette Lepage) – Homélies pour l’année B (Amédée Brunot) – Internet
« LA SOIF DE DOMINER EST CELLE
QUI S’ETEINT LA DERNIERE DANS LE CŒUR DE L’HOMME » (MACHIAVEL)
Sur le chemin de Jérusalem, Jésus a beau répéter l’avertissement qu’il donnait dès le départ à ses disciples, ceux-ci ne l’entendent pas. Comme Pierre, ils ne veulent pas d’un Messie qui doit être rejeté, souffrir beaucoup, mourir et qui prévient les siens qu’eux aussi doivent renoncer à leurs conceptions et porter leur croix (8, 31-33). En effet la grande fête de Pâque approche, de partout les groupes de pèlerins se pressent joyeusement en direction de la ville tant aimée où, en rendant grâce à Dieu d’avoir libéré leurs ancêtres de l’esclavage en Egypte, ils l’imploreront pour que vienne le Messie qui les délivrera du joug des Romains. Les apôtres ne doutent plus que Jésus est ce Messie qui les mène au triomphe pascal et déjà ils préparent l’organisation du futur Royaume : lequel d’entre eux va diriger ?
LA RIVALITE POUR LE POUVOIR
Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. »
Au début de l’aventure, Jésus avait appelé quelques jeunes pêcheurs du lac de Galilée à le suivre : le premier, Simon et son frère André, puis les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean (1, 16-20). Plus tard, en instituant le groupe des Douze, Jésus avait changé le nom de Simon en celui de Pierre – signe de sa vocation spéciale et de sa primauté (3, 16).
Il faut croire que cette décision n’avait pas été acceptée de bon gré dans le groupe : sur la route, Jésus avait entendu les siens « se quereller pour savoir qui était le plus grand » et il les avait tancés vertement : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier, le serviteur de tous » (9, 33-35).
Leçon pas encore acceptée puisque maintenant voilà les Zébédée qui remettent le couvert. Et je devine pourquoi : Pierre n’était qu’un pauvre pêcheur tandis que leur père à eux tenait une entreprise de pêche avec « des ouvriers » (1, 20). Jean et Jacques devaient se sentir d’un statut social plus élevé donc c’était à eux d’accéder aux places d’honneur et de pouvoir dans le Royaume.
Jésus les avertit : pour être près de moi, il faudra partager ma destinée.
« Boire à ma coupe » c.à.d. accepter d’aller jusqu’au fond de la déréliction, de goûter l’amertume de la lie. Et ce ne sera pas du tout facile puisque Jésus lui-même, au creux de l’affreuse nuit d’agonie dans le jardin, demandera à son Père d’écarter cette coupe avant d’y consentir (14, 36).
Et « être baptisé du baptême » qui attend Jésus au Golgotha où le Messie, au lieu d’être porté en triomphe sera plongé dans les hurlements de haine, dans les traitements les plus ignominieux, dans l’horreur des supplices et l’abîme de la mort. Il est joyeux de recevoir le baptême d’eau : savons-nous qu’il n’est conféré qu’en vue du second ?
Mais, continue Jésus, ce n’est pas à moi à fixer les places d’honneur : dans quelques semaines, les apôtres verront que, puisqu’ils ont fui en abandonnant leur Maître, ces places à gauche et à droite de Jésus proclamé Roi sur la croix seront occupées par deux « larrons » (sans doute deux résistants juifs)
ORGANISATION D’ETAT ET ORGANISATION D’EGLISE
Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean.
Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Il n’y a pas que les Zébédée qui étaient ambitieux : tous rêvaient de gloire, tous ambitionnaient les places d’honneur, tous étaient agacés par la manœuvre des deux frères.
Mentalités et comportements mondains ! dénonce Jésus. Il en va ainsi en politique et dans les organisations de toute société : compétences, talents, caractère conduisent certains, et c’est normal, aux postes de direction mais on sait que l’ambition, la vanité, le goût des colifichets (médailles et titres), la cupidité (gagner plus d’argent) sont des mobiles d’une force extraordinaire. Quelle jouissance de se croire grand parce qu’on a accédé à un poste « supérieur », que l’on dirige plus de subalternes, que l’on trône aux premiers rangs !
Chez mes disciples, ordonne Jésus, ce sera le contraire. Sans devenir une pagaïe anarchique (où les plus rusés prennent le pouvoir), l’Eglise sera une organisation où l’essentiel est d’aimer donc de servir les autres. Jésus n’écarte pas l’ambition de ses amis : il la rectifie. Le désir allumé par la foi est d’aimer toujours davantage, donc de combattre la passion de domination et se mettre au service de tous. Il est bien de vouloir « arriver » – mais à la sainteté.
LE SERVITEUR SOUFFRANT EST LE FILS DE L’HOMME GLORIEUX
Et enfin Jésus donne la raison de cette option en définissant sa propre mission :
« ………….car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Jésus ne se veut pas un « Fils de l’homme » éclatant de gloire et acculant à la prosternation ; simple humain parmi les autres, il accomplit sa vocation divine de façon terrestre : aimer en se mettant au service de tous, en aidant chacun à réaliser sa propre vocation.
Les hommes ne croient qu’au salut par la force : ils rejetteront un messie qui se veut doux et humble de cœur et qui, du coup, veut entraîner les hommes sur cette voie. Mais Jésus injurié deviendra bénédiction ; traité comme un objet il sera le sujet de son destin. Il se vouera à la mort qu’on lui inflige, il en fera un don total de sa personne si bien qu’il réalisera la pathétique figure du mystérieux Serviteur souffrant entrevu jadis par le prophète : « Il était méprisé, homme de douleurs…En fait ce sont nos souffrances qu’il porte…La sanction, gage de paix pour nous, était sur lui ; dans ses plaies se trouvait notre guérison…il s’est dépouillé jusqu’à la mort, il a porté les fautes des foules » (Isaïe 53).
L’homme Jésus, renonçant à faire des miracles, se prépare à être ce « serviteur de Dieu » humilié, écrasé, tué ; il ne sera pas victime d’un complot mais « l’Agneau » que l’on égorge et qui s’offre afin que ses frères les hommes soient libérés de l’esclavage du péché et vivent debout dans une communauté pardonnée. L’amour extrême auquel la croix le poussera en fera le « Fils de l’Homme » glorieux qui se présente comme la Paix du monde…mais à partir de la croix.
Grande responsabilité des responsables d’Eglise : faut-il vraiment que ceux qui ont reçu les charges de service portent les titres d’« Excellence », « Eminence », « Monseigneur » et se parent d’atours majestueux ? Notre paroisse est-elle communauté où chacun est au service de tous ? Acceptons-nous qu’elle ait mission de servir la part d’humanité où elle est envoyée ?
Sommes-nous contents ou attristés lorsque le monde nous arrache nos falbalas ?
Raphaël, dominicain
PAPE FRANCOIS À DES EVEQUES : « …..On perçoit l’impérieuse nécessité d’une conversion missionnaire… Au cœur de cette conversion, réside le service à l’humanité…L’Eglise, en tant que communauté évangélisatrice, est appelée à grandir dans la proximité, à raccourcir les distances, à s’abaisser jusqu’à l’humiliation si cela est nécessaire…Le concile Vatican II souligne que les évêques doivent se comporter comme ceux qui servent…L’Eglise a besoin de pasteurs, d’évêques qui sachent se mettre à genoux devant les autres pour leur laver les pieds. Des pasteurs proches des gens, des pères et des frères doux, patients et miséricordieux, qui aiment la pauvreté …Efforcez-vous de donner une réelle impulsion missionnaire à vos communautés… » (Rome – 21 septembre 2014)
Ils ne manquent pas d’air, les fils de Zébédée ! Maître, nous voudrions que tu .exauces notre demande… Depuis le temps que le Seigneur leur explique que le Fils de l’Homme est venu pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude, que celui qui veut être le premier, doit se faire serviteur des autres. Qu’être serviteur va jusqu’au don total de soi et eux ne pense qu’à une seule chose, avoir les meilleures places. L’Evangile nous fait rejoindre Jésus dans la solitude de sa montée à Jérusalem, chemin d’humilité, de soumission au Père. Alors que ses disciples ambitionnent les meilleures place dans le Royaume. Ils se voient déjà des chefs qui commandent en maîtres et qui font sentir leur pouvoir. Tentation qui nous guettent tous, d’être les meilleurs, les plus doués, les plus savants,…Pour suivre Jésus, il faut se convertir, changer notre façon de vivre, être humble; et si nous avons quelque don, il ne faut pas nous enorgueillir, mais le mettre au servir de tous.
“Abaissez-vous donc sous la main puissante de Dieu pour qu’Il vous élève en temps voulu”; nous dit Pierre dans sa première lettre.
Jésus a fait siennes les prophéties du Serviteur souffrant dans le passage du livre d’Isaïe. ” Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur.”
En ce dimanche de la journée mondiale missionnaire, nous sommes invités à nous rappeler que cette mission n’est autre qu’un service et que tout baptisé, à la suite de Jésus ne cherche pas à être servi mais à servir ses frères.